Publié le 20 Janvier 2018

Si l'on admet, avec les textes de la tradition, que l'ignorance de ce que nous sommes dans la réalité est à l'origine de l'apparition de dukkha, la souffrance sous tous ses aspects, la solution pour faire diminuer dukkha et l'éradiquer sera logiquement de travailler à la disparition de cette ignorance. Pour réaliser la connaissance directe (pañña en pāli) de ce que "je suis" au-delà des apparences illusoires, il est primordial de mettre en place les conditions de son émergence par la notation de l'apparition, de l'existence et de la disparition de chaque conscience prédominante à l'esprit dans l'instant présent. Et ce champ de notation inclut toute forme de conscience, que son origine soit physique ou mentale. Vipassanā, la vision directe de la réalité de tout phénomène corporel ou mental, est l'aboutissement attendu de la méthode Satipatthāna, "L'établissement de l'attention" en pāli. L'efficacité de la méthode suppose, bien entendu, qu'elle soit menée avec sérieux et en confiance.

Une attention la plus juste possible lors de l'apparition de chaque conscience dans notre vie quotidienne va diminuer le nombre de manifestations des consciences de ressenti douloureux, de dukkha. Renouvelé tout au long de la journée, cet effort de retour à la conscience dominante de l'instant va aussi préparer l'esprit à la concentration et à l'attention justes durant la séquence quotidienne de méditation formelle, marche et assise attentives, autre condition à respecter pour faire progresser l'esprit vers cette connaissance libératrice.

Dans la vie courante, la pratique de l'attention juste consiste donc à faire l'effort de ramener l'esprit le plus souvent possible à la conscience dominante. Mais, avant tout, nous identifierons chaque type de conscience à partir de son objet: visuel, auditif, tactile, olfactif, gustatif ou mental. Le même effort à fournir lors des marches et assises s'en trouvera ainsi renforcé.

Car il s'agit bien d'une méthode pratique et non d'une matière à spéculations intellectuelles. Ce qui induit que les résultats sont réels et que si nous avons noté les consciences dominantes instant après instant, du moins le plus souvent possible, nous constaterons par nous-même que la journée s'est plutôt mieux déroulée du fait de cette pratique. De cette manière, l'esprit s'est préparé aux grands nettoyages effectués lors des marches et assises quotidiennes qui le libèrent des causes inconscientes de dukkha. Ainsi, ayant admis a priori que "l'ignorance de ce que nous sommes dans la réalité est à l'origine de l'apparition de dukkha", l'esprit expérimente les premiers bénéfices et constatera que ceux-ci sont en rapport direct avec l'approche vécue de la réalité de ce que nous sommes: éléments de matière d'une part et, d'autre part, consciences qui apparaissent, existent et disparaissent.

Une conscience, kézaco?

Comment se caractérise une conscience ? Une conscience est le produit d'une rencontre (d'une "concomitance") de trois éléments de types différents: un organe des sens, un objet des sens et une attention. Chaque conscience est identifiable par son objet: une conscience visuelle apparait à partir d'un objet visible (couleurs et formes), une conscience auditive à partir d'un son, une conscience tactile à partir d'un objet tactile, une conscience gustative à partir d'un goût, une conscience olfactive à partir d'une odeur, une conscience mentale à partir d'un objet autre que ceux cités précédemment: (ressenti (vedanā), état d'esprit (citta), et tout objet mental (dhammā). Avec les progrès dans la pratique de l'attention juste, on constatera d'une part qu'il n'existe qu'une seule conscience à la fois, et, d'autre part, que cette conscience apparaît à partir d'une attention générée par le contact entre un organe et un objet; dès que cette attention aura cessé d'exister, cette conscience disparaîtra aussitôt. Chaque conscience est donc unique, comme celle qui va lui succéder et ainsi que celle qui l'aura précédée. Par conséquent, il n'y a pas de conscience permanente qui serait colorée selon son objet: "La conscience visuelle ne passe pas à l'oreille et ne devient pas conscience auditive, et ainsi de suite". (Majjhima nikāyaṭṭhakathā, Papañcasudani).

L'esprit produit sans cesse des consciences et le progrès vers Vipassanā, la Vision intérieure, en fera connaître la vraie nature, faite d'une part d'une apparition, d'une existence éphémère et d'une disparition, anicca (mujo en japonais), et d'autre part d'anonymat, d'absence de connaissance du lieu de résidence d'où elles surgissent d'elles-mêmes, et où elles s'en retournent, n'appartenant à personne et ne constituant en rien une (id)entité propre, anatta (muga en japonais); enfin, si les deux premières caractéristiques peuvent sembler ne concerner que des philosophes férus de phénoménologie, la troisième devrait tous nous interpeller au plus haut point, car dukkha en pali, la douleur sous toutes ses formes, de la souffrance physique à la souffrance existentielle touche chaque existence. S'il fallait un mot pour en parler, ce serait "insatisfaction", ce que chacun peut comprendre immédiatement.

Dans son aspect le plus profond, dukkha est le résultat du désir de saisir toute conscience dominante en cet instant, soit pour la prolonger par avidité soit pour la rejeter par aversion, croyant aveuglément qu'il s'agit de l'expression d'un "moi" alors qu'il s'agit d'une pulsion maladive née de l'ignorance. Cette course désespérée de s'approprier l'éphémère par nature au bénéfice d'un "moi" illusoire sera freinée, puis enfin stoppée par la réalisation de la Vision claire de l'esprit, Vipassanā.

"Parce qu'ils n'ont aucune connaissance pratique de la Méditation Vipassanā, les gens ne sont généralement pas en position de connaître la nature véritable de l'esprit. Ce qui les amène naturellement à considérer faussement l'esprit comme une "personnalité", un "moi" ou une "entité vivante". Ils pensent généralement: "l'imagination est Je; Je suis en train d'imaginer; Je me propose de; Je suis en train de connaître", et ainsi de suite. Ils estiment qu'il existe une entité vivante ou un moi qui se développe depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte. En réalité, il n'y a pas d'entité vivante, mais un processus continu d'éléments mentaux se manifestant séparément et successivement. La pratique de la contemplation est donc effectuée dans le but de découvrir la réalité."  Mahasi Sayadaw

 

"Ne pas faire le moindre mal, cultiver le bien, purifier son esprit; tel est l'enseignement des bouddhas".   -Dhammapada – verset 185.

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Rédigé par Christian Galliou

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